Chapitre 3 : Planification Initiale de la M&V : Définition de la Portée, des Objectifs et des Méthodes
Planification Initiale de la M&V : Définition de la Portée, des Objectifs et des Méthodes
Vous avez parfaitement raison de souligner que la planification est la pierre angulaire d’une M&V réussie. Une planification initiale rigoureuse est absolument essentielle pour garantir l’efficacité, la pertinence et la crédibilité de l’ensemble du processus de Mesure et Vérification (M&V). Cette phase préparatoire permet de poser des bases solides et d’orienter efficacement toutes les étapes ultérieures. Explorons en détail les étapes clés de cette planification initiale : la définition de la portée, des objectifs et la sélection préliminaire des méthodes de M&V.
1. Définition de la Portée du Projet (Scope Definition) : Délimiter le Champ d’Action
La première étape cruciale de la planification de la M&V consiste à définir clairement la portée du projet d’efficacité énergétique. En d’autres termes, il s’agit de préciser les limites physiques et opérationnelles à l’intérieur desquelles les économies d’énergie seront mesurées et vérifiées. Définir la portée revient à répondre à la question fondamentale : “Qu’est-ce qui est inclus et qu’est-ce qui est exclu du périmètre de la M&V ?”
Pourquoi est-ce crucial de définir la portée ?
- Délimiter clairement le projet : La portée permet de circonscrire précisément le projet d’efficacité énergétique, en identifiant les systèmes, les équipements, les zones géographiques et les activités concernées. Cela évite toute ambiguïté et confusion par la suite.
- Focaliser les efforts de M&V : En définissant la portée, on concentre les efforts de M&V sur les éléments pertinents et mesurables, en évitant de disperser les ressources et de complexifier inutilement le processus.
- Établir des limites claires pour la responsabilité : La portée permet de définir clairement les responsabilités des différentes parties prenantes impliquées dans la M&V (propriétaire du bâtiment, entreprise de services énergétiques, auditeur indépendant, etc.) en précisant qui est responsable de la M&V pour quels éléments du projet.
- Assurer la cohérence et la comparabilité : Une portée bien définie garantit que la M&V est cohérente avec les objectifs du projet et permet de comparer les résultats avec d’autres projets similaires ayant une portée comparable.
Éléments clés à considérer pour définir la portée :
- Limites physiques : Définir les bâtiments, les installations, les zones géographiques ou les équipements spécifiques qui sont inclus dans le projet d’efficacité énergétique. Par exemple, s’agit-il de l’ensemble d’un campus universitaire, d’un seul bâtiment, d’un étage spécifique, d’une ligne de production industrielle, ou d’un réseau d’éclairage public dans un quartier ?
- Limites opérationnelles : Préciser les systèmes et les équipements énergivores qui sont directement impactés par les mesures d’efficacité énergétique et qui seront donc inclus dans la M&V. Par exemple, le système de chauffage, ventilation et climatisation (CVC), l’éclairage, les équipements de production industrielle, les systèmes de pompage, etc. Il est important de détailler les sous-systèmes ou équipements spécifiques inclus (par exemple, seulement l’éclairage intérieur, ou l’éclairage intérieur et extérieur).
- Sources d’énergie concernées : Identifier les sources d’énergie dont les économies seront mesurées et vérifiées. Il peut s’agir d’électricité, de gaz naturel, de fioul, de chaleur de réseau, etc. La portée doit préciser si la M&V se concentre sur une seule source d’énergie ou sur plusieurs.
- Période de référence et période de rapport : Définir clairement les périodes de temps qui seront utilisées pour établir la consommation énergétique de référence (avant mise en œuvre des mesures) et pour mesurer la consommation énergétique après mise en œuvre des mesures (période de rapport). La durée de ces périodes et leur délimitation temporelle (par exemple, une année civile, une saison de chauffage, etc.) doivent être précisées dans la portée.
- Éléments exclus de la portée : Il est tout aussi important de préciser ce qui est exclu de la portée de la M&V. Par exemple, si un projet d’isolation thermique concerne uniquement les murs extérieurs, il est important de mentionner que l’isolation de la toiture ou des planchers n’est pas incluse dans la portée de la M&V. De même, si certaines activités ou zones du bâtiment ne sont pas concernées par les mesures d’efficacité énergétique, il est important de les exclure explicitement de la portée.
- Diagramme de délimitation de la portée (facultatif mais recommandé) : Pour une portée complexe, il peut être très utile de créer un schéma ou un diagramme qui illustre visuellement les limites physiques et opérationnelles du projet, les systèmes inclus et exclus, et les flux d’énergie concernés.
Exemple concret de définition de la portée :
“La portée de la M&V pour le projet de rénovation énergétique du bâtiment administratif “Alpha” inclut :
- Limites physiques : L’ensemble du bâtiment administratif “Alpha”, situé au [adresse précise].
- Limites opérationnelles : Le système d’éclairage intérieur (remplacement des luminaires fluorescents par des LED), le système de chauffage (remplacement de la chaudière gaz existante par une chaudière à condensation), et le système de ventilation mécanique double flux. Sont exclus de la portée : le système de climatisation, les équipements informatiques et de bureau, et l’éclairage extérieur.
- Sources d’énergie concernées : Électricité (pour l’éclairage et la ventilation) et gaz naturel (pour le chauffage).
- Période de référence : Année civile précédant la mise en œuvre des mesures (du 1er janvier XXXX au 31 décembre XXXX).
- Période de rapport : Première année civile complète suivant la mise en œuvre des mesures (du 1er janvier YYYY au 31 décembre YYYY).”
2. Définition des Objectifs de la M&V (Objectives Setting) : Préciser le But Recherché
Après avoir délimité la portée du projet, l’étape suivante consiste à définir clairement les objectifs de la M&V. Il s’agit de préciser pourquoi la M&V est réalisée et quels sont les résultats attendus. Les objectifs de la M&V vont influencer le niveau de rigueur, la méthode de M&V choisie, et les ressources à mobiliser. En d’autres termes, il faut répondre à la question : “Pourquoi faisons-nous de la M&V dans ce projet ?”
Pourquoi est-ce crucial de définir les objectifs ?
- Orienter le processus de M&V : Les objectifs servent de fil conducteur pour l’ensemble du processus de M&V. Ils guident le choix des méthodes, la collecte des données, l’analyse des résultats et le rapportage.
- Aligner la M&V avec les objectifs du projet global : Les objectifs de la M&V doivent être cohérents et alignés avec les objectifs plus larges du projet d’efficacité énergétique lui-même (réduction des coûts énergétiques, amélioration de la performance environnementale, respect d’engagements, etc.).
- Déterminer le niveau de rigueur et de précision requis : Les objectifs influencent le niveau de précision et de rigueur nécessaire dans la M&V. Par exemple, valider des économies pour un contrat de performance énergétique nécessitera une M&V plus rigoureuse et précise que simplement suivre la performance énergétique d’un bâtiment pour un usage interne.
- Faciliter la communication avec les parties prenantes : Des objectifs clairement définis permettent de communiquer efficacement avec toutes les parties prenantes (investisseurs, direction, équipe projet, etc.) sur le but de la M&V et les résultats attendus.
- Mesurer le succès de la M&V elle-même : Les objectifs permettent d’évaluer si la M&V a atteint ses propres objectifs et si elle a permis de répondre aux besoins d’information des parties prenantes.
Types d’objectifs de M&V courants :
- Valider les économies d’énergie pour un Contrat de Performance Énergétique (CPE) : Dans le cadre d’un CPE, l’objectif principal de la M&V est de vérifier si les économies d’énergie garanties par l’Entreprise de Services Énergétiques (ESE) sont effectivement réalisées et de déterminer le montant des paiements basés sur la performance. Dans ce cas, la M&V doit être particulièrement rigoureuse, transparente et impartiale.
- Répondre à des exigences réglementaires ou normatives : Certaines réglementations (par exemple, des directives européennes, des normes nationales, des labels énergétiques) peuvent exiger la mise en place d’une M&V pour justifier l’atteinte d’objectifs d’efficacité énergétique ou pour bénéficier d’incitations financières. L’objectif de la M&V est alors de démontrer la conformité à ces exigences.
- Suivre la performance énergétique d’un investissement : Pour des projets d’efficacité énergétique financés par des fonds propres ou des prêts, la M&V peut avoir pour objectif de suivre et de documenter les performances énergétiques du projet dans le temps, de vérifier le retour sur investissement, et de justifier les dépenses engagées.
- Améliorer la gestion énergétique interne : Pour certaines organisations, la M&V peut être mise en place dans le but d’améliorer leur propre gestion énergétique, d’identifier les sources de gaspillage, de suivre l’efficacité des actions mises en œuvre, et d’alimenter un processus d’amélioration continue de la performance énergétique.
- Communiquer sur les performances environnementales : Dans un contexte de responsabilité sociale et environnementale, la M&V peut être utilisée pour quantifier et communiquer de manière crédible les bénéfices environnementaux des projets d’efficacité énergétique (réduction des émissions de CO2, économies de ressources naturelles, etc.) auprès des parties prenantes externes (clients, fournisseurs, riverains, etc.).
Exemple concret de définition des objectifs de M&V :
“Les objectifs de la M&V pour le projet de rénovation énergétique du bâtiment administratif “Alpha” sont les suivants :
- Valider les économies d’énergie garanties dans le Contrat de Performance Énergétique (CPE) signé avec l’ESE “Beta Energie”. L’objectif principal est de vérifier que les économies d’énergie annuelles garanties par “Beta Energie” (X% de réduction de la consommation énergétique de référence) sont effectivement atteintes, afin de déterminer le paiement annuel de performance à verser à l’ESE, conformément aux termes du CPE.
- Répondre aux exigences du label énergétique “Bâtiment Durable Niveau Or” que le propriétaire du bâtiment souhaite obtenir. La M&V doit fournir les données et les preuves nécessaires pour démontrer que le bâtiment rénové atteint les seuils de performance énergétique requis par le label.
- Suivre l’évolution de la performance énergétique du bâtiment sur les 5 prochaines années afin d’identifier d’éventuelles dérives, d’optimiser les réglages des équipements et de planifier d’autres actions d’amélioration continue de l’efficacité énergétique.”
3. Sélection Préliminaire des Méthodes de M&V (Preliminary Method Selection) : Choisir l’Approche Appropriée
Une fois la portée et les objectifs de la M&V clairement définis, l’étape suivante consiste à sélectionner de manière préliminaire les méthodes de M&V les plus appropriées. Il ne s’agit pas à ce stade de choisir une méthode définitive et figée, mais plutôt d’identifier les approches méthodologiques les plus pertinentes en fonction des caractéristiques du projet, des ressources disponibles, des objectifs de la M&V, et des principes de M&V (exactitude, transparence, conservatisme, complétude).
Pourquoi est-ce crucial de sélectionner préliminairement les méthodes ?
- Orienter la collecte de données : Le choix préliminaire des méthodes de M&V va orienter la planification de la collecte de données. Il permet d’identifier les types de données à collecter, les instruments de mesure à utiliser, la fréquence et la durée des mesures, etc.
- Évaluer la faisabilité et le coût de la M&V : Différentes méthodes de M&V ont des exigences différentes en termes de données, de ressources humaines, d’équipements et de coûts. La sélection préliminaire permet d’évaluer la faisabilité technique et financière de la M&V et d’ajuster éventuellement la portée ou les objectifs si nécessaire.
- Préparer l’analyse des données : Le choix des méthodes influence la manière dont les données seront analysées et traitées pour quantifier les économies d’énergie. La sélection préliminaire permet d’anticiper les types de calculs et de modèles qui seront utilisés.
- Faciliter la communication avec les experts en M&V : Avoir une idée préliminaire des méthodes envisagées facilite les discussions avec des experts en M&V, des auditeurs ou des consultants, pour affiner le choix méthodologique et s’assurer de la pertinence de l’approche.
Méthodes de M&V courantes et critères de sélection préliminaire :
L’IPMVP (International Performance Measurement and Verification Protocol) propose un cadre méthodologique standardisé pour la M&V, en définissant différentes options méthodologiques, allant des approches les plus simples aux plus sophistiquées. Les options les plus couramment utilisées sont :
- Option A – Économies Déterminées par l’Évaluation Technique (Rated Savings) : Les économies sont estimées sur la base de données techniques fournies par les fabricants d’équipements ou de valeurs par défaut, avec des mesures ponctuelles pour vérifier l’installation et le fonctionnement des équipements. Cette option est simple et peu coûteuse, mais moins précise et moins adaptée pour des économies complexes ou variables. Elle peut être appropriée pour des projets simples et standardisés (par exemple, remplacement de lampes).
- Option B – Économies Déterminées par Mesure Après Installation (Retrofit Isolation) : Les économies sont déterminées en mesurant la consommation énergétique des équipements ou des systèmes concernés avant et après la mise en œuvre des mesures d’efficacité énergétique. Des mesures continues sont généralement réalisées pendant des périodes représentatives. Cette option est plus précise que l’option A, mais plus coûteuse et plus exigeante en termes de collecte de données. Elle est appropriée pour des projets où les économies sont relativement isolées et mesurables au niveau d’un équipement ou d’un système (par exemple, rénovation d’un système de CVC).
- Option C – Économies Déterminées par la Consommation Totale du Bâtiment (Whole Building) : Les économies sont déterminées en analysant les données de consommation énergétique globale du bâtiment avant et après la mise en œuvre des mesures d’efficacité énergétique. Des modèles statistiques ou des analyses de régression peuvent être utilisés pour tenir compte des variations des facteurs influençant la consommation (par exemple, conditions climatiques, niveau d’occupation). Cette option est moins coûteuse que l’option B en termes de mesures spécifiques, mais nécessite des données de consommation globales fiables et une analyse statistique plus sophistiquée. Elle est appropriée pour des projets ayant un impact sur la consommation énergétique globale du bâtiment, mais où il est difficile ou coûteux de mesurer les économies au niveau de systèmes individuels (par exemple, amélioration de l’isolation de l’enveloppe du bâtiment).
- Option D – Économies Déterminées par Simulation Énergétique Calibrée (Calibrated Simulation) : Les économies sont déterminées en comparant la consommation énergétique simulée du bâtiment avant et après la mise en œuvre des mesures d’efficacité énergétique, en calibrant les modèles de simulation avec des données de consommation réelles. Cette option peut être utilisée lorsque les mesures directes sont difficiles ou impossibles, ou pour évaluer des scénarios complexes. Elle est la plus complexe et la plus coûteuse, et nécessite une expertise en modélisation énergétique. Elle est appropriée pour des projets complexes ou innovants, ou pour des études de faisabilité.
Critères à considérer pour la sélection préliminaire des méthodes :
- Type de projet et nature des mesures d’efficacité énergétique : Certaines méthodes sont plus adaptées à certains types de projets. Par exemple, l’option B est souvent privilégiée pour des rénovations de systèmes de CVC ou d’éclairage, tandis que l’option C peut être plus pertinente pour des améliorations de l’enveloppe du bâtiment.
- Disponibilité et qualité des données de consommation énergétique : Le choix de la méthode dépendra des données de consommation énergétique disponibles pour la période de référence et pour la période de rapport. L’option C nécessite des données de consommation globale fiables et continues. L’option B nécessite des données de consommation spécifiques aux systèmes concernés.
- Ressources disponibles (budget, temps, expertise) : Les différentes options de M&V ont des coûts et des exigences en ressources différents. Il faut évaluer les ressources disponibles et choisir une méthode compatible avec ces contraintes. L’option A est généralement la moins coûteuse et la moins exigeante, tandis que l’option D est la plus coûteuse et la plus complexe.
- Objectifs de la M&V et niveau de précision souhaité : Si l’objectif est de valider des économies pour un CPE et d’assurer une grande précision et crédibilité, les options B, C ou D seront généralement privilégiées par rapport à l’option A. Si l’objectif est plus exploratoire ou interne, l’option A peut suffire.
- Principes de M&V (exactitude, transparence, conservatisme, complétude) : Le choix de la méthode doit être guidé par le respect de ces principes. Les options B, C et D offrent généralement une meilleure exactitude et transparence que l’option A. Le conservatisme peut être intégré dans toutes les options, mais il est important de le prendre en compte dès la sélection de la méthode. La complétude doit également être considérée, en choisissant une méthode qui permet de rendre compte de tous les impacts pertinents du projet.
Exemple concret de sélection préliminaire des méthodes de M&V :
“Pour le projet de rénovation énergétique du bâtiment administratif “Alpha”, compte tenu des objectifs (validation des économies pour un CPE, label énergétique), du type de mesures (éclairage, chauffage, ventilation), des ressources disponibles, et des principes de M&V, la méthode préliminairement envisagée est l’Option B (Retrofit Isolation) pour le système d’éclairage et le système de chauffage, et l’Option C (Whole Building) pour l’impact global du projet.
- Justification pour l’éclairage et le chauffage (Option B) : Ces systèmes représentent une part significative des économies attendues et il est techniquement et économiquement faisable de mesurer la consommation énergétique spécifique de ces systèmes avant et après rénovation, en installant des sous-compteurs dédiés. L’option B offre une bonne précision pour valider les économies de ces systèmes dans le cadre du CPE.
- Justification pour l’impact global du projet (Option C) : Pour évaluer l’impact global du projet sur la consommation totale du bâtiment et pour répondre aux exigences du label énergétique, l’Option C est envisagée. Des données de consommation énergétique globale du bâtiment sur plusieurs années sont disponibles et permettent d’envisager une analyse de type Option C. Cette approche permet de tenir compte des interactions entre les différents systèmes rénovés et d’évaluer les économies globales.
- L’option A (Rated Savings) est écartée car elle est jugée insuffisamment précise pour valider les économies dans le cadre du CPE et pour répondre aux exigences du label énergétique. L’option D (Calibrated Simulation) est également écartée à ce stade, car elle est considérée comme trop complexe et coûteuse pour ce projet, et les Options B et C semblent suffisamment appropriées pour atteindre les objectifs.”
En conclusion, la planification initiale de la M&V, et en particulier la définition de la portée, des objectifs et la sélection préliminaire des méthodes, est une étape fondamentale pour la réussite de toute démarche de M&V. Une planification rigoureuse dès le départ permet de poser des bases solides, d’orienter efficacement le processus, de garantir la crédibilité des résultats, et de maximiser la valeur ajoutée de la M&V pour les projets d’efficacité énergétique. Il est important de noter que cette planification est itérative : les choix initiaux peuvent être affinés et ajustés au fur et à mesure de l’avancement du projet et de l’acquisition de nouvelles informations. Une planification bien menée est un investissement qui porte ses fruits tout au long du processus de M&V et contribue significativement au succès des projets d’efficacité énergétique.