Chapitre 23 : Étude de Cas 2 : Utilisation de l’Option D pour un Projet Industriel Complexe
Étude de Cas 2 : Utilisation de l’Option D pour un Projet Industriel Complexe
l’Option D (Simulation Calibrée) est particulièrement pertinente pour les projets industriels complexes où la M&V se heurte à des défis spécifiques. Dans ces contextes, les options plus simples (A, B, C) peuvent s’avérer insuffisantes pour évaluer correctement les économies d’énergie. L’Option D, en recourant à la modélisation énergétique avancée, offre une approche plus précise et plus flexible pour appréhender la complexité des systèmes industriels. Explorons cette deuxième étude de cas pour comprendre concrètement comment l’Option D est appliquée dans un projet industriel et quels sont ses avantages spécifiques.
Contexte du Projet Industriel : Une Usine de Production Agroalimentaire Complexe
Imaginez une usine de production agroalimentaire de grande taille, spécialisée dans la transformation et la conservation de produits frais. Cette usine est énergétiquement intensive et comprend un ensemble de processus industriels complexes et interconnectés :
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- Réception et stockage frigorifique des matières premières : Grandes chambres froides à température contrôlée pour le stockage des produits entrants.
- Lignes de production automatisées : Processus de transformation alimentaire variés (découpe, cuisson, mélange, conditionnement, etc.) avec des équipements industriels spécifiques et consommateurs d’énergie (fours industriels, machines de conditionnement, convoyeurs, etc.).
- Systèmes de refroidissement industriel : Groupes froids puissants pour le maintien des températures basses dans les zones de production et les chambres froides.
- Système de ventilation industrielle complexe : Ventilation mécanique pour assurer la qualité de l’air, l’hygiène, et le confort des opérateurs dans les différentes zones de production (zones chaudes, zones froides, zones à atmosphère contrôlée).
- Production d’air comprimé : Centrale d’air comprimé pour alimenter divers équipements pneumatiques sur les lignes de production.
- Éclairage industriel important : Éclairage performant pour assurer la sécurité et la qualité du travail dans les zones de production.
- Bâtiment industriel de grande taille avec une enveloppe hétérogène :* Différents types de parois (panneaux sandwich isolés, maçonnerie, bardage métallique), différentes hauteurs de plafond, zones climatisées et non climatisées.
L’usine est confrontée à des coûts énergétiques élevés et à une volonté d’améliorer sa performance environnementale. Une étude énergétique approfondie a identifié un potentiel d’économies d’énergie important en optimisant les systèmes existants et en mettant en œuvre des mesures d’efficacité énergétique.
Mesures d’Efficacité Énergétique Mises en Œuvre dans l’Usine
Le projet de rénovation énergétique industrielle comprend un ensemble de mesures ciblées sur les principaux postes de consommation :
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Optimisation du Système de Refroidissement Industriel :
- Remplacement des groupes froids obsolètes par des groupes froids haute efficacité utilisant des fluides frigorigènes à faible impact environnemental.”
- Mise en place de variateurs de vitesse sur les compresseurs des groupes froids pour adapter la puissance frigorifique aux besoins réels et éviter le fonctionnement à pleine charge en permanence.
- Amélioration du système de régulation et de supervision du refroidissement industriel pour optimiser le pilotage des groupes froids, la gestion des cycles de dégivrage, et la répartition du froid dans les différentes zones.
- Récupération de chaleur sur les groupes froids pour préchauffer l’eau chaude sanitaire ou l’eau de process (si possible et pertinent).
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Optimisation du Système de Ventilation Industrielle :
- Remplacement des ventilateurs énergivores par des ventilateurs haute efficacité avec des moteurs à commutation électronique.
- Mise en place de variateurs de vitesse sur les ventilateurs pour adapter les débits d’air aux besoins réels et éviter le fonctionnement à débit maximal en permanence.
- Régulation de la ventilation en fonction de la qualité de l’air et de l’occupation des zones de production (par exemple, sondes CO2, détecteurs de présence).
- Optimisation des réseaux de ventilation pour réduire les pertes de charge et améliorer la distribution de l’air.
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Amélioration de l’Efficacité des Lignes de Production :
- Optimisation des processus de production pour réduire les besoins énergétiques (par exemple, optimisation des temps de cuisson, séquençage des opérations).
- Remplacement de certains équipements de production énergivores par des modèles plus performants (par exemple, fours plus efficaces, machines de conditionnement optimisées).
- Récupération de chaleur sur les équipements de production (par exemple, chaleur fatale des fours) pour préchauffer l’eau de process ou pour d’autres usages (si possible et pertinent).
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Amélioration du Système d’Éclairage :
- Remplacement des anciens luminaires industriels par des luminaires LED haute efficacité avec une gestion intelligente de l’éclairage (détection de présence, variation d’intensité en fonction de la lumière naturelle).*
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Actions sur l’Enveloppe du Bâtiment (dans certaines zones) :
- Isolation thermique renforcée de certaines zones de l’enveloppe (par exemple, zones de stockage frigorifique).
- Amélioration de l’étanchéité à l’air de certaines zones climatisées.
Choix de l’Option D (Simulation Calibrée) : Nécessité face à la Complexité
Dans ce contexte industriel complexe, le choix de l’Option D (Simulation Calibrée) s’est imposé comme la méthode de M&V la plus pertinente et la plus fiable.
Justification du Choix de l’Option D :
- Complexité élevée des systèmes énergétiques : L’usine comprend des systèmes CVC industriels complexes (refroidissement, ventilation) avec des interactions fortes entre les composants et des systèmes de régulation sophistiqués. Les options A et B, basées sur des mesures simplifiées, sont insuffisantes pour capturer cette complexité.
- Interactions fortes entre les différents postes de consommation : Les différents systèmes (refroidissement, ventilation, production, éclairage) interagissent entre eux. Par exemple, la chaleur dégagée par les équipements de production influence les besoins de refroidissement. L’Option D, grâce à la modélisation, permet de prendre en compte ces interactions systémiques.
- Variabilité importante des conditions d’exploitation : L’activité de production de l’usine varie en fonction des saisons, des jours de la semaine, et des commandes. La consommation énergétique est donc très variable. L’Option D, en simulant le fonctionnement du bâtiment sous différentes conditions d’exploitation, permet de tenir compte de cette variabilité.
- Mesures directes difficiles et coûteuses pour certains équipements : Mesurer directement la consommation énergétique de chaque équipement industriel individuel (fours, machines de conditionnement, etc.) serait techniquement très complexe et très coûteux. L’Option D, en modélisant les processus et les équipements, permet d’évaluer les économies sans multiplier les points de mesure complexes.
- Volonté d’obtenir une estimation précise des économies : Compte tenu des investissements importants et des objectifs de performance ambitieux, une évaluation précise et fiable des économies d’énergie était essentielle. L’Option D, grâce à la simulation calibrée, offre le potentiel de précision le plus élevé.
- Besoin d’optimiser la conception et les réglages du système : La modélisation énergétique, au-delà de la M&V, peut être utilisée pour simuler différents scénarios, optimiser les réglages des systèmes, et aider à la décision lors de la phase de conception et de mise en service.
Processus de Création et de Calibration du Modèle de Simulation Énergétique
La mise en œuvre de l’Option D a nécessité un processus méthodique et rigoureux de création et de calibration du modèle de simulation énergétique :
Étape 1 : Définition du Périmètre et du Niveau de Détail du Modèle
- Définition du périmètre de la modélisation : Décision de modéliser l’ensemble du bâtiment industriel et de ses principaux systèmes énergétiques (refroidissement, ventilation, éclairage, process industriels pertinents).
- Choix du niveau de détail de la modélisation : Niveau de détail suffisant pour représenter fidèlement le comportement énergétique des systèmes et pour évaluer l’impact des mesures d’efficacité énergétique. Modélisation détaillée des systèmes CVC industriels, modélisation simplifiée des équipements de production secondaires, modélisation de l’enveloppe du bâtiment par zones thermiques homogènes.
Étape 2 : Collecte des Données d’Entrée pour le Modèle
- Données géométriques et architecturales du bâtiment : Plans du bâtiment, surfaces, volumes, orientations, caractéristiques de l’enveloppe (matériaux, épaisseurs, performances thermiques, etc.).
- Caractéristiques techniques des systèmes CVC industriels : Fiches techniques des groupes froids, des ventilateurs, des pompes, des échangeurs, des systèmes de régulation, des réseaux de distribution (aérauliques et hydrauliques), etc.
- Caractéristiques techniques des équipements de production pertinents : Puissances électriques, rendements, cycles de fonctionnement, programmes de production, etc.
- Caractéristiques du système d’éclairage : Types de luminaires, puissances, systèmes de contrôle, programmes d’éclairage.
- Données d’occupation et de programmes d’exploitation : Horaires de travail, taux d’occupation des différentes zones, programmes de production, séquences de fonctionnement des équipements, etc.
- Données climatiques horaires typiques (année météo de référence) : Température extérieure, humidité, ensoleillement, vent, etc. pour le site de l’usine.
- Données de consommation énergétique réelles de la période de référence (ligne de base) : Données de facturation mensuelles totales (électricité, gaz, éventuellement autres énergies). Également, données de sous-comptage partiel existant (si disponibles) : Consommation électrique des principaux groupes froids, consommation du système d’éclairage, etc. (données horaires ou journalières si possible).
Étape 3 : Création du Modèle de Simulation Énergétique avec un Logiciel Adapté
- Choix d’un logiciel de simulation énergétique performant et adapté aux bâtiments industriels : Logiciels comme EnergyPlus, TRNSYS, IDA ICE, etc.
- Saisie des données d’entrée dans le logiciel de simulation : Création du modèle géométrique du bâtiment, définition des zones thermiques, modélisation des systèmes CVC, des équipements, de l’éclairage, des programmes d’exploitation, etc.
- Configuration des scénarios de simulation :
- Scénario “Ligne de Base” : Simulation du bâtiment avant projet, avec les caractéristiques et les systèmes existants.
- Scénario “Après Projet” : Simulation du bâtiment après rénovation, avec les caractéristiques et les systèmes modifiés (mesures d’efficacité énergétique mises en œuvre).
Étape 4 : Calibration du Modèle de Simulation avec les Données Réelles (Période de Référence)
- Comparaison des résultats de la simulation du scénario “Ligne de Base” avec les données de consommation énergétique réelles de la période de référence.
- Ajustement des paramètres du modèle pour réduire l’écart entre les résultats de la simulation et les données réelles : Ajustement des paramètres liés à l’enveloppe (coefficients de transmission thermique, ponts thermiques), aux systèmes CVC (rendements, coefficients de performance, réglages), aux programmes d’exploitation (taux d’occupation, horaires), aux charges internes (équipements process), etc. La calibration est un processus itératif et délicat qui nécessite une expertise en simulation énergétique et une bonne connaissance du bâtiment et de ses systèmes.
- Validation de la calibration : Vérification que le modèle calibré reproduit fidèlement le comportement énergétique réel du bâtiment pendant la période de référence. Critères de validation : Écart entre la consommation simulée et la consommation réelle inférieure à un seuil acceptable (par exemple, écart de ± 5% pour la consommation annuelle totale, écart de ± 10% pour la consommation mensuelle). Utilisation d’indicateurs statistiques de validation (RMSE, CV-RMSE, MBE, NMBE).
Données Utilisées pour la Calibration : Données Réelles et Données Typiques
La calibration du modèle de simulation a reposé sur un mix de données réelles et de données typiques ou estimées :
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Données réelles indispensables pour la calibration :
- Données de facturation énergétique mensuelles totales (électricité et gaz) de la période de référence : Servent de référence pour la calibration du modèle global.
- Données de sous-comptage partiel existant (si disponibles) : Consommation électrique des groupes froids, de l’éclairage, etc. (données horaires ou journalières si possible). Permettent de calibrer plus finement les modèles des sous-systèmes.
- Données climatiques horaires typiques (année météo de référence) : Données réelles et locales pour représenter fidèlement le climat du site.
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Données typiques ou estimées (en l’absence de données réelles détaillées) :
- Caractéristiques thermiques de l’enveloppe du bâtiment : Estimées à partir des plans, des descriptifs du bâtiment, et de valeurs typiques pour les matériaux de construction de l’époque (années 1980). Des inspections visuelles et des mesures ponctuelles (thermographie) peuvent aider à affiner les estimations.
- Caractéristiques techniques des équipements CVC anciens : Souvent difficiles à obtenir pour des équipements anciens. Utilisation de valeurs typiques ou estimées de rendements et de coefficients de performance pour des équipements de cette génération.
- Programmes d’exploitation typiques : Estimés à partir des informations fournies par l’exploitant, des observations, et d’hypothèses raisonnables sur les horaires de travail, les taux d’occupation, les cycles de production, etc.
L’équilibre entre données réelles et données estimées est un compromis à trouver en fonction de la disponibilité des données, du budget du projet, et du niveau de précision souhaité pour la M&V. Dans cette étude de cas, l’accent a été mis sur l’obtention de données de consommation réelles fiables (facturation, sous-comptage partiel) et de données climatiques précises, tandis que certaines données techniques des équipements anciens ont été estimées de manière prudente.
Résultats de la Simulation : Économies d’Énergie Potentielles Évaluées
Une fois le modèle de simulation calibré avec les données de la période de référence, des simulations ont été réalisées pour la période de rapport dans deux scénarios :
- Scénario “Ligne de Base Ajustée” : Simulation du bâtiment sans les mesures d’efficacité énergétique, mais avec les conditions d’exploitation et climatiques réelles de la période de rapport. Cette simulation estime la consommation énergétique qu’aurait eu le bâtiment sans le projet.
- Scénario “Après Projet” : Simulation du bâtiment avec les mesures d’efficacité énergétique, et avec les mêmes conditions d’exploitation et climatiques réelles que le scénario “Ligne de Base Ajustée”. Cette simulation estime la consommation énergétique réelle du bâtiment avec le projet.
Les résultats de la simulation ont mis en évidence des économies d’énergie potentielles importantes :
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- Économies d’énergie annuelles simulées : 42% par rapport au scénario “Ligne de Base Ajustée”.
- Réduction de la consommation d’électricité simulée : 38%
- Réduction de la consommation de gaz naturel simulée : 50% (principalement grâce à l’optimisation des process et à la récupération de chaleur).
- Répartition des économies par poste :
- Refroidissement industriel : 55% des économies totales
- Ventilation industrielle : 20% des économies totales
- Lignes de production : 15% des économies totales
- Éclairage : 10% des économies totales
Ces résultats de simulation prévisionnels ont permis de valider le potentiel du projet de rénovation énergétique et de justifier les investissements initiaux. Ils ont également fourni une vision détaillée de la répartition des économies par poste, ce qui est très utile pour orienter les actions d’exploitation et de maintenance et pour identifier les axes d’amélioration future.
Validation du Modèle : Comparaison avec les Données Réelles Post-Projet
Après la mise en œuvre des travaux, une période de suivi post-projet (période de rapport) a été mise en place. Les données de facturation énergétique réelles de la période de rapport ont été collectées et comparées avec les résultats de la simulation du scénario “Après Projet”.
Résultats de la Validation : Bonne Concordance Modèle-Réalité
- Bonne concordance entre les économies d’énergie simulées et les économies d’énergie réelles constatées sur les factures : Les économies d’énergie réelles mesurées sur les factures étaient très proches des économies d’énergie simulées par le modèle (écart inférieur à 10% pour la consommation annuelle totale).
- Validation du modèle de simulation : Cette bonne concordance a permis de valider la fiabilité du modèle de simulation calibré et de confirmer la pertinence de l’Option D pour ce type de projet industriel complexe.
- Justification des incitations financières et des garanties de performance : Les résultats de la M&V Option D, validés par la comparaison avec les données réelles, ont servi de base pour justifier l’éligibilité aux incitations financières pour les projets d’efficacité énergétique industrielle et pour vérifier le respect des garanties de performance contractuelles (si applicable).
Conclusions et Leçons Tirées de l’Expérience : Pertinence de l’Option D en Milieu Industriel Complexe
Cette étude de cas démontre la pertinence de l’Option D (Simulation Calibrée) pour la M&V de projets d’efficacité énergétique dans des environnements industriels complexes.
Principales conclusions et leçons apprises :
- Option D indispensable pour appréhender la complexité des systèmes industriels : Face à la complexité des systèmes CVC industriels, aux interactions entre les postes de consommation, et à la variabilité des conditions d’exploitation, l’Option D est souvent la seule option permettant d’obtenir une évaluation précise et fiable des économies d’énergie.
- Modélisation énergétique précise et calibration rigoureuse sont essentielles : La qualité du modèle de simulation et la rigueur de la calibration sont cruciales pour la fiabilité de l’Option D. Faire appel à des experts en simulation énergétique et consacrer le temps nécessaire à la collecte de données et à la calibration sont des investissements nécessaires.
- Option D plus coûteuse mais justifiée pour les projets complexes et ambitieux : L’Option D est plus coûteuse et plus complexe à mettre en œuvre que les Options A, B ou C. Cependant, pour les projets industriels complexes et à forts enjeux économiques, le gain en précision et en fiabilité de l’Option D justifie largement les coûts supplémentaires.
- Modèle de simulation : un outil puissant au-delà de la M&V : Le modèle de simulation calibré, une fois créé pour la M&V, peut devenir un *outil précieux pour l’exploitation et l’optimisation continue du bâtiment et de ses systèmes. Il peut être utilisé pour simuler différents scénarios, évaluer l’impact de nouvelles mesures, optimiser les réglages, anticiper les besoins de maintenance, etc.
- Communication crédible et argumentée des résultats : L’Option D, en se basant sur une méthodologie scientifique et une modélisation détaillée, offre une crédibilité accrue aux résultats de la M&V. Les rapports de M&V basés sur l’Option D sont plus facilement acceptés par les parties prenantes (directions, financeurs, auditeurs), car ils reposent sur une analyse solide et transparente.
En conclusion, l’Option D (Simulation Calibrée) représente une méthode de M&V avancée et performante, particulièrement adaptée aux projets industriels complexes où les méthodes plus simples atteignent leurs limites. En investissant dans la modélisation énergétique et la calibration rigoureuse, les organisations industrielles peuvent obtenir une évaluation fiable des économies d’énergie, optimiser la conception et l’exploitation de leurs systèmes, et maximiser les bénéfices de leurs projets d’efficacité énergétique.